Un·e improvisateur·ice, trois exercices : Yacine

Ce soir, c’est Boumediene que vous pourrez écouter pour un nouvel épisode du podcast des exercices fétiches ! Il a interrogé Yacine, un improvisateur algérien, dont les exercices préférés sont la machine, l’histoire entre les chaises et le Kems contre Kems.

Bonjour, c’est Boumediene pour Atlas, impros du monde. Nous sommes sur le podcast trois exercices fétiches d’un comédien et aujourd’hui, nous sommes avec Yacine Benghellam, un comédien algérien qui va nous parler un petit peu de ses trois exercices fétiches. Bonjour Yacine !

Bonjour à tous ! J’espère que vous allez bien.

Yacine, est-ce que tu peux nous parler de ton parcours d’improvisateur ?

Oui ! Alors, j’ai commencé l’impro en 2013, j’avais fait un atelier juste comme ça pour voir, et ça m’avait plu. Ensuite je suis tombé dans le bain, j’ai fait partie d’une troupe pendant cinq ans, après j’ai arrêté. Puis j’ai commencé à faire des ateliers un peu tout seul pour des enfants, des écoles, et des adultes aussi. Ensuite, j’ai lancé un petit projet où je faisais des formations à travers l’impro, on faisait des formations de communication pro, de prise de parole. Maintenant, je fais toujours de l’import au sein d’une école qui fait des activités artistiques pour adultes. Ils font plein d’ateliers vivants, et aussi de l’improvisation théâtrale. 

Merci beaucoup pour ces informations ! On voit que tu as un parcours assez long et que tu as un petit peu bougé entre troupes et tout. Actuellement, tu te consacres à donner des cours, c’est très intéressant. On va directement passer aux exercices, je vais te demander le nom de ton premier exercice fétiche.

Ça a été dur d’en choisir trois …

Oui, je comprends …

Le premier, c’est tout simplement l’exercice de la machine. Il consiste à faire une machine ensemble, et chaque personne est une pièce. Les comédiens ne doivent pas faire des personnes, mais des pièces mécaniques et ils doivent faire un seul mouvement et un son. Il faut avoir une machine construite par tous.

Je vois l’exercice dont tu parles, et ce sont des mouvements et des sons qu’ils vont répéter pendant tout l’exercice ?

Oui, c’est ça, par exemple le premier commence à agiter la main de haut en bas en disant zzzz par exemple, après le deuxième vient compléter le geste à côté, faire des mouvements circulaires avec ses pieds et ainsi de suite. A la fin, toutes les pièces doivent être complémentaires les unes par rapport aux autres pour faire une seule machine.

Super, c’est très clair, même pour les personnes qui ne connaissent pas. Pourquoi tu as choisi ce premier exercice ?

Parce que c’est un exercice que tu trouves un peu bizarre quand tu le fais pour la première fois : tu te demandes pourquoi tu dois faire les gestes. Et donc c’est un exercice qui te permet de te lâcher, parce que tu ne peux pas rester rigide. T’es obligé d’être avec les autres, de te lâcher et d’être dans le moment présent. J’ai remarqué que l’exercice marchait beaucoup plus avec les enfants qu’avec les adultes, parce que les enfants prennent ça comme un jeu. Ok, pendant le premier passage ils sont un peu réticents, mais après ils se prennent au jeu et ils en veulent encore. Les adultes retiennent un peu trop, ils ont plus de mal à se lâcher parce qu’ils ont peur que les gens les jugent. C’est un truc que j’aime bien faire, parce que ça te permet de te détendre et de te lâcher.

C’est très intéressant ce que tu dis ! Et tu as déjà enchaîné avec la question suivante : pour quel public et pour quel niveau d’improvisateurs tu le préconises ?

Je l’utilise pour tout le monde, mais surtout les débutants parce que … l’exercice a deux lectures : si on l’utilise avec les débutants, ils ont du mal à se lâcher, on doit faire quatre à cinq fois l’exercice ; si on l’utilise avec des personnes confirmées, l’exercice devient autre chose parce qu’ils le connaissent, et ils vont un peu plus loin dans l’exercice. Il y a plus de complicité entre les personnes, qu’ils se connaissent ou qu’ils ne connaissent pas, ils font des machines de plus en plus élaborées et ça devient plus amusant.

Très intéressant ! Pour finir avec cet exercice avec une touche atlasienne, on va dire, trois mots qui définissent ou résument cet exercice pour toi ?

 Je dirais « complémentarité », parce que c’est un exercice qui permet de savoir comment complémenter ce que fait l’autre, « groupe », parce que c’est un exercice de groupe, et … « spontanéité », parce que tu n’as pas besoin de trop réfléchir : on n’est pas seul à faire l’exercice, donc on peut bien réussir sans trop se creuser la tête.

Merci, c’est tout bon pour moi pour le premier exercice. On va enchaîner directement avec le deuxième : comment il s’appelle ?

Le deuxième, je ne sais pas si c’est son vrai nom, c’est l’histoire entre les chaises. 

D’accord. Comment tu le présentes ? Il se déroule comment ?

On met deux chaises aux deux extrémités de la scène, et en fait une chaise symbolise le début de l’histoire, et la deuxième chaise la fin. Si tu te places au début par exemple, tu dois dire une phrase qui correspond au début : ça peut être « il était une fois » ou « c’est l’histoire de », etc. Si tu te places à la fin, c’est la fin de l’histoire, tu dois dire « et c’est comme ça que telle personne a fait ça ». Au milieu, c’est le milieu de l’histoire. Il y a plusieurs niveaux : facile, moyen et un peu plus difficile. Pour le niveau facile, les comédiens se placent l’un après l’autre : le premier se place au début et dit la première phrase, le deuxième se met en deuxième position et continue, ainsi de suite. Le niveau moyen, quelqu’un se place au début et quelqu’un se place à la fin, puis les autres se placent au milieu. Le niveau avancé, tu te places où tu veux : le premier peut se placer au début, c’est comme il veut, et le but c’est d’avoir quand même une histoire cohérente.

Donc c’est un exercice qui travaille énormément la narration et l’histoire. Tu le préconises pour quel public et quel niveau ?

Alors, moi je le fais pour les débutants juste comme ça pour voir, ou pour leur donner envie d’avancer encore plus dans l’impro, parce que c’est difficile mais amusant. Sinon, je le fais avec les intermédiaires ou les avancés, parce qu’il faut déjà que tu comprennes la structure de l’histoire, le début, le milieu, la fin, il faut que tu saches accepter ce que dit l’autre, écouter l’ensemble pour pouvoir réussir. 

Super, merci beaucoup ! Trois mots pour cet exercice ?

Trois mots … « Acceptation », parce que parfois tu as une idée en tête et il y a déjà quelqu’un qui a mis autre chose, donc il faut accepter que les gens qui sont avant toi aient mis une histoire en place. Je dirais aussi « amusement », parce que c’est très amusant de voir les gens qui ne sont pas encore en place ne pas savoir quoi faire et essayer de construire l’histoire petit à petit. Au début, il peut y avoir quelque chose et la personne qui se place à la fin dit carrément autre chose, c’est intéressant de voir comment on arrive du point A au point B. Pour le troisième mot, je dirais « oser », parce que si tu ne te lèves pas pour y aller, il faudra te lever. J’ai eu un atelier avec des personnes qui avaient des blocages, parce que tout le monde était en place et qu’elles ne savaient pas où se mettre pour ajouter quelque chose. Moi je dis toujours qu’il faut absolument que toutes les personnes passent, trouvent un moyen de se mettre quelque part. 

Ok ! Acceptation, amusement et oser, très bien. On est un peu sur les commandements de l’improvisateur qu’on a connu au début de nos ateliers. 

C’est ça !

On passe au troisième exercice : c’est quoi son nom ?
Le troisième exercice, je l’ai pris du spectacle d’un duo parisien : Nabla et Tim. Leur jeu s’appelle Kem’s contre kem’s. Avant de commencer le spectacle, il y en a un qui sort de la salle. Le public donne un mot et une action que le comédien doit faire faire à l’autre, par exemple se brosser les dents et on va dire, chaise. Après, le deuxième comédien sort, celui qui est sorti revient et c’est la même chose avec un autre mot et une autre action. Les deux reviennent sur scène et commencent le spectacle, le but des deux c’est de faire dire le mot et de faire faire l’action à l’autre. Pour l’autre, le but c’est de deviner quel est le mot et quelle est l’action. 

Si par exemple, moi je dois faire dire le mot « chaise », et que j’y arrive, je dois dire « kems » et j’ai marqué un point. Au contraire, si tu devines que je dois te faire dire le mot « chaise », tu dois dire « contre rems » et c’est toi qui as marqué le point.

D’accord ! Si je peux reformuler, chaque comédien a une action et un mot à faire deviner à son collègue, et entre-temps ils jouent une improvisation normale. Dès qu’il y en a un qui réussit à faire deviner son mot ou son action, il marque un point, et si l’autre réussit à le démasquer, c’est l’autre qui marque le point. 

Et aussi, si par exemple je dois toujours te faire deviner le mot « chaise » et que je te dis « Tu peux me passer ce qui est à côté de toi ? » et que toi tu réponds « Je suis sûr qu’il veut me faire dire le mot télécommande, contre kems », tu t’es trompé donc c’est quand même un point pour moi.

Quand tout le monde a réussi à deviner les mots etc, l’exercice s’arrête, c’est bien ça ?

Oui, c’est bien ça. Eux, ils font le spectacle sur une quarantaine de minutes, c’est un long temps, mais moi quand je le fais en exercice, ça s’arrête quand les deux ont deviné ou au bout de cinq à sept minutes si je vois que c’est trop long.

Je ne connaissais absolument pas l’exercice, et je ne pense pas que mes collègues atlasiens le connaissent, donc c’est vraiment un exercice nouveau et je pense qu’on va le tester aussi dans nos ateliers ! 

C’est un truc très amusant à faire !

J’imagine, je suis déjà en train de réfléchir à ce que ça peut donner en atelier *rire*. En plus du côté amusant, est-ce que tu as remarqué quelque chose d’autre que l’exercice peut apporter au comédien ?

Quand j’explique l’exercice, les gens font des calculs dans leur tête et se disent « je suis sûr que c’est ça ». Dès qu’ils commencent à jouer, ils deviennent très calculateurs, donc on perd la spontanéité du jeu et l’histoire. Je leur explique que c’est bien de gagner, mais que si on gagne sans faire l’histoire, ça ne sert à rien. Si l’histoire est bien construite et que tu as l’opportunité de placer le mot, tu le fais, mais s’il n’y en a pas, il faut privilégier l’histoire. 

Pour moi, ce que tu dis ça reflète bien les matchs d’impro où généralement, on est dans la compétition pour gagner et on oublie souvent de faire des belles histoires et des belles fins. En un seul exercice, ça résume ce qu’on peut voir dans tout un match d’une heure et demie

Exactement ! Une fois, je l’ai fait faire à des enfants, je me disais qu’ils allaient se planter et ne jamais le faire mais ils ont compris et ils l’ont bien fait. On a juste fait une impro de deux minutes avec un seul mot chacun, et après quelques passages ils ont saisi ce qu’il fallait faire. Je pense que ce qui est amusant, c’est le fait d’être dans le risque. Quand tu vois que l’autre personne commence à deviner le mot, il faut partir de l’autre côté, faire l’histoire, réfléchir au mot que l’autre personne veut te faire dire, … C’est surtout pour les personnes avancées, pour les débutants ça risque de les froisser un peu s’ils n’y arrivent pas du premier coup.

Donc tu le recommandes beaucoup plus pour des participants qui ont déjà un niveau avancé dans l’impro.

Oui ! Sinon, il faut que ce soient des débutants qui sont là pour le jeu : qui font de l’improvisation pour essayer, et s’ils se plantent c’est pas grave. Je ne pensais pas que les enfants allaient réussir mais j’ai vu qu’ils se sont débrouillés, donc c’est à voir.

Trois mots pour résumer ton dernier exercice ?

Alors … je dirais « risque », parce qu’on est constamment dans ce risque, puis « improvisation » parce que c’est l’un des exercices qui t’obligent à constamment improviser, sans prévoir ce que l’autre va te faire faire. Autant quand il n’y a pas d’action ni de mot, tu peux recycler quelques vannes, quelques phrases, mais quand il y a des mots en jeu, un objectif, tu ne peux pas savoir. Tu es tout le temps dans l’imprévu. Le troisième mot, c’est « écoute », parce qu’on doit vraiment raconter quelque chose avec des personnages et une histoire. Certes, à la fin il y a un gagnant et un perdant, mais pour gagner il faut bien écouter.

Ok ! C’est super ton résumé en trois mots, donc merci, merci à toi Yacine d’avoir participé et d’avoir partagé tes trois exercices avec nous. 

Avec plaisir !

N’hésitez pas à aller voir notre site Internet et le reste du blog pour voir les exercices qui ont déjà été partagés. On se retrouve très bientôt pour un nouvel improvisateur et trois autres exercices. C’était Atlas, impros du monde, portez-vous bien !