Comment gérer le cliché en impro ?

C’est en discutant avec Cypria, la nouvelle Service Civique d’Atlas, que j’ai eu envie d’écrire ce petit post sur le sujet des clichés en impro.

Parce que c’est un thème qui me tient à cœur. Non pas parce que je suis en guerre totale contre les clichés, mais simplement parce que je trouve que :

1.       C’est un sujet essentiel en impro

2.       C’est vraiment compliqué à gérer (plus, à mon avis, que dans des disciplines à texte ou des performances préparées)

3.       C’est un sujet clivant

 

1-      C’est un sujet essentiel en impro

Pourquoi ? Parce que, selon moi, c’est impossible de ne pas utiliser des clichés en impro. Attention, j’utilise ici le mot « cliché » au sens large, c’est-à-dire (et je hacke un peu la définition), une représentation simplifiée de quelque chose (dans le Larousse la définition est « lieu commun, banalité »).

En effet, les improvisateur·rice·s jouent sans texte, et ne savent donc pas ce qu’elles et ils vont jouer. A moins d’être un·e expert·e dans TOUT, et donc d’être une entité supérieure non-humaine, c’est impossible. Lorsqu’on se retrouve à jouer un personnage, en tant qu’improvisateur·rice, on n’a pas la possibilité, comme un.e auteur·rice ou un.e comédien·ne de théâtre, d’aller se renseigner sur la réalité de ce personnage (son époque, son pays, sa profession, par exemple). On est obligé d’utiliser notre représentation personnelle (de ce métier, de cette époque, de ce lieu), qui est forcément une simplification.

Si on tente de s’empêcher d’utiliser ces représentations simplifiées, on ne pourra jouer que des personnages « qu’on connait très bien » personnellement, c’est-à-dire qui partagent nos traits identitaires – dans mon cas une jeune femme française de 29 ans hétérosexuelle et issue de la classe moyenne – pour citer certains de ces traits. Super. Mais je crois que ce serait un peu ennuyeux et qu’on perdrait du plaisir à jouer. Et je soupçonne que ça puisse aussi être moins excitant pour le public.

Alors, comment on fait ?

2-      C’est vraiment compliqué à gérer

Au-delà de la raison citée plus haut (on ne peut pas être expert·e sur tous nos personnages et leurs « réalités », qui en plus sont évidemment des réalités multiples), il y a le problème de la spontanéité. C’est ça qu’on aime en impro mais c’est aussi ce qui rend le propos difficile à contrôler. Viendra ce qui viendra quoi. Mais comment puis-je être réflexif.ve sur mes propos (et donc avoir du recul sur mon propos), alors que tout est écrit en temps réel, dans l’instant ? Super dur.

L’autre raison pour laquelle il est difficile de se défaire du cliché en impro c’est qu’il nous aide. Et oui, un des enjeux pour les improvisateur·rice·s pendant une scène d’impro (et particulièrement au début), c’est d’être compris par sa·son partenaire (en général on le formule dans l’autre sens, l’enjeu premier c’est d’être à l’écoute de sa·son partenaire bien sûr. Mais comme on est sympa en général on essaie de lui simplifier la vie en évitant de faire des choses incompréhensibles). Vous voyez où je veux en venir ? Si je démarre une impro dans un sous-marin, et que je veux faire comprendre à ma·mon partenaire (et au public !) que je suis dans un sous-marin, ce sera plus simple en utilisant les clichés (la grosse porte de sas qui s’ouvre par rotation, les bip-bip caractéristiques etc). Pour les personnages, c’est pareil, j’utilise des simplifications pour être sûre que ma proposition soit la plus claire possible.

 

3-      C’est un sujet clivant

On a donc une guerre des mœurs entre les improvisateur·rice·s qui sont mal à l’aise avec les clichés et celles et ceux qui aiment les utiliser. Ici aussi je simplifie évidemment car il y a tout un panel de gens entre les deux (celles et ceux qui n’y ont pas vraiment réfléchi, celles et ceux qui pensent que certains clichés sont ok mais pas d’autres, celles et ceux qui ne veulent pas mettre de tabou en impro même si, bien sûr, il·elle·s sont d’accord, on ne va quand même pas faire un accent congolais car ce serait de mauvais goût, etc).

D’ailleurs oui tiens, pourquoi certains clichés nous dérangent plus que d’autres ? Car en effet, on a vu plus haut que toute représentation simplifiée est un cliché. Mais en impro on voit quand même plus souvent de personnages de russes bourrés à la vodka que de maghrébins sur des dromadaires. On est moins mal à l’aise de jouer un flic raciste qu’une secrétaire pimbêche. Pourtant les deux sont des clichés de profession.

Alors, bon, l’argument qui pourrait être avancé c’est que certains clichés sont « négatifs », alors que d’autres sont « neutres » ou « positifs ». Par exemple, si je joue une star de la chanson et que j’utilise le cliché « je suis belle et j’ai confiance en moi » pour mon personnage, en effet je suis du côté des qualités et pas de la moquerie ou l’humiliation. Mais cette explication ne me parait vraiment pas suffisante car on accepte quand même certains clichés « négatifs » (on l’a dit, le flic raciste, le russe alcoolique, mais il y en a des centaines). Quand je dis « on accepte », je ne veux pas dire tout le monde, je veux dire que ces personnages semblent déclencher moins de réactions lorsqu’ils sont joués sur scène, et aussi ils semblent être d’avantage joués par les improvisateur·rice·s (je n’ai pas de chiffre, c’est ce que je perçois ! N’hésitez pas à me contredire).

 

On essaie de répondre

Sur la question de pourquoi certains clichés sont ok et pas d’autres, un début de réponse m’a été soufflé par cette vidéo de Ex Machina super intéressante sur les mécanismes du rire en impro ou en stand up face aux sujets tabous, et comment gérer l’humour dans ces cas-là : vidéo

Ce que je retiens de cette vidéo par rapport à ma question, c’est cette échelle de menace de ou dangerosité. Car finalement ce qu’explique la vidéo c’est que c’est « ok » de se moquer de groupes menaçants, comme par exemple les dirigeants politiques, les flics… en gros tous les groupes qui ont du pouvoir (ça c’est mon interprétation de ce qu’implique cette notion de « menace »). Et ce n’est pas ok de se moquer des groupes non-dangereux (en fait ceux qui ont peu de pouvoir social, donc par exemple les minorités). Mais je trouve la notion de menace plus intéressante que celle de pouvoir, parce qu’au final, le pouvoir est « objectivable » (pouvoir financier, politique), alors que la notion de menace va être plus relative. Certaines personnes se sentent peut-être menacées par des groupes minoritaires (qui peut-être véhiculent des valeurs qui leur semblent menacer un ordre établi) et on comprend alors mieux pourquoi elles vont être réceptives à de l’humour sur ces groupes minoritaires alors que la même blague sera choquante pour d’autres qui ne les considèrent pas comme une menace.

Pour simplifier, ce que cette perspective implique c’est que se moquer des classes dominantes par exemple en jouant un riche pédant ou coincé c’est drôle, mais se moquer des classes défavorisées en jouant une personne sous-éduquée ou négligée, c’est pas ok. Parce que dans un cas on « punch down » quelqu’un de menaçant, et dans l’autre cas on « punch down » quelqu’un de non menaçant, pour reprendre le vocabulaire de la vidéo.

Encore une fois, pour moi ce n’est qu’un début de réponse, car ce n’est pas suffisant pour expliquer pourquoi on continue de « tolérer » certains clichés qui pourtant concernent des groupes minoritaires et sont négatifs (car oui on continue de voir le personnage de Nathalie, la secrétaire pimbêche, qui pourtant n’a pas socialement beaucoup de pouvoir).

Mais en fait pour moi on touche ici à qu’est-ce qui est tabou dans la société à un instant ‘t’ ? En fait ce qui va être ok ou pas va varier très fort selon les époques (on repense à des sketchs hyper racistes des années 80 – comme celui-là-  où on se dit « Comment c’était possible de faire ça ? » et dans quelques années peut-être que les générations futures regarderont la place des femmes dans nos films d’aujourd’hui et se diront « Comment c’était possible que ça passe ? ». Donc la question à se poser c’est peut-être : pourquoi je suis d’avantage gênée de voir une scène qui se moque d’un maghrébin qu’une scène qui se moque d’un russe ou d’un chinois ? Pour moi ces « codes sociaux du malaise » ont à voir avec la question de la perception sociale d’une minorité sur un territoire. Je suis d’avantage gênée parce que je suis mal à l’aise avec la façon dont la France gère l’intégration des migrants issus d’Afrique du Nord. Je serais mal à l’aise devant un personnage cliché homosexuel efféminé par exemple car je suis mal à l’aise avec les discriminations sociales subies par ce groupe dans ma société. Je serai peut-être moins mal à l’aise avec le cliché du russe car je ne trouve pas qu’il y ait de problème avec la perception sociale de ce groupe dans ma société (la question n’est pas de savoir si j’ai tort ou raison mais bien ce que je perçois).

 

Ce que j’essaie de faire

On n’a toujours pas répondu à la question « comment on fait ? », mais on a quelques pistes de compréhension du truc. Encore une fois, ce sont seulement mes hypothèses, l’idée c’est d’explorer.

D’ailleurs, je ne vais pas du tout répondre à « comment on fait » parce que je n’ai pas la réponse. Il n’y en a certainement pas qu’une, et celles auxquelles ont peut penser sont probablement imparfaites.

Je vais plutôt vous dire « comment je fais » moi, ou même plutôt, « ce que j’essaie de faire » :

·       Ne pas me censurer. Pour moi c’est très important en impro… si j’ai l’impression que je ne peux pas faire ce que je veux, je ne peux pas être dans le moment présent et débrancher mon cerveau, et donc je ne peux pas faire d’impro.

·       Du « redressage » : si je vois que je suis partie dans un personnage cliché, j’essaie de lui ajouter une dimension qui sort du cliché, qui dit autre chose. Par exemple une fois pendant un spectacle je joue la nouvelle compagne d’un homme lors d’un dîner avec son ex-femme. Mon personnage est un peu niais, un peu creux, et lorsqu’on me demande ma profession je dis « coiffeuse ». Plus tard dans le spectacle je réalise ce truc et je me dis « merde ». Pour redresser, j’ai fait un monologue sur le métier de coiffeur qui mettait en avant beaucoup d’autres qualités humaines et intellectuelles chez mon personnage. En tout cas j’ai essayé ! On peut aussi faire une stratégie d’empowerment : si mon personnage issu d’une minorité a un rôle dans l’impro de statut bas, une solution peut être de le faire complétement s’élever et de renverser le système hiérarchique dans l’impro. Bien sûr, c’est plus facile dans un spectacle long que dans une scène de 3 minutes.

·       De l’anticliché. Parce que ça fait du bien aussi ! Juste pour montrer (à ses partenaires, au public, à soi-même) que c’est possible de faire un personnage anticliché et d’être parfaitement bien compris. On essaie ? Jouons un flic super gentil et humain, jouons un patron d’entreprise qui a des valeurs morales, un activiste greenpeace qui ne consomme pas du cannabis, une femme Présidente de la République, etc. Tu verras ce sera rigolo ! En fait moi ça m’aide carrément à faire des personnages plus attachants, plus « vrais ». Ça me permet de surprendre mes partenaires dans le bon sens du terme, de sortir de nos zones de confort. D’ailleurs, cette technique peut très bien fonctionner aussi pour ce qui est des relations entre les personnages. Si ta partenaire de jeu entre dans le rôle d’une stagiaire un peu cruche, timide, qui se fait écraser facilement, rien ne t’empêche de jouer un patron encore plus timide, peu sûr de lui etc. Ça fera certainement un joli duo.

·       Revenir à moi. Parfois, pas tout le temps, ça permet d’éviter de partir dans une mauvaise direction. Je le fais pour des personnages que je ne connais vraiment pas par exemple et pour lesquels j’ai peur d’être maladroite. Si je dois jouer un pompier, comme je n’ai aucune idée de ce que c’est d’être un pompier, je vais jouer « Moi si j’étais pompier ». Ça m’aide à trouver un personnage plus crédible même si le contexte de son travail est difficile pour moi à imaginer.

·       En parler. Ça ne sert à rien de s’autoflageller si on joue un gros cliché en atelier ou en spectacle. Mais par contre en parler ça peut tout changer. En atelier c’est vraiment faisable : oser dire ce qu’on a ressenti, oser parler du malaise ou des différents points de vue sur un personnage cliché qui a été joué. En spectacle ça peut prendre la forme de discussions avec le public à la fin du spectacle autour d’un verre, ou si vraiment il y a un gros malaise, la discussion peut être intégrée au spectacle, ne serait-ce que pour leur dire « ce n’est pas notre vision du monde, mais ça existe ».

·       Se mélanger. Plus on aura des troupes ou des équipes avec des identités mixtes (éviter les troupes constituées à 100% d’hommes blancs, hétérosexuels, cisgenres, issus des classes moyennes et privilégiées), plus on ouvrira nos univers et nos improvisations à d’autres expériences culturelles et sociales. Ça permet d’apprendre, de comprendre, d’élargir ses horizons, de partager. Comment ? En faisant découvrir l’impro à des personnes hors des sphères « classiques » de recrutement (souvent les étudiants et les jeunes professionnels), en faisant des ateliers avec des personnes de plusieurs nationalités ou des ateliers multilingues, en proposant des ateliers d’impro à des bénéficiaires d’associations qui ne pourraient pas avoir accès à des ateliers payants... Je connais une asso qui fait ça très bien, c’est Atlas impros du monde !

Voilà, ce ne sont évidemment pas des solutions (avec un grand « S ») à ce problème hyper complexe mais bien des pistes de débat. N’hésitez pas à réagir et à partager votre expérience ou avis sur la question, ça fait avancer les choses. Parlez-en dans votre troupe d’impro, à vos amis improvisateur·rice·s, à vos ami·e·s qui aiment venir regarder des spectacles d’impro, à vos coachs et formateur·rice·s, à vos élèves si vous donnez des ateliers. Juste pour continuer à y réfléchir ensemble.

Par Laurie Andrieu

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