Un·e improvisateur·ice, trois exercices : Manon

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Pour le deuxième épisode de sa série de podcasts sur les exercices préférés de vos coaches atlasien·ne·s préféré·e·s, Alban a interrogé Manon. Elle nous parle du cercle d’improvisation, du “miroir mouvant” et du très connu cowboy.

Bonjour Manon ! Avant de rentrer dans le vif du sujet, parle nous un peu de ton expérience d’improvisatrice. 

Bonjour Alban, moi c’est Manon. En gros, je fais du théâtre depuis que je dois avoir … sept, huit ans, j’ai commencé dans des compagnies privées. Après j’ai continué au lycée en section théâtre, j’ai été au Conservatoire municipal de Montluçon pendant deux ans, cours d’art dramatique. Après j’ai arrêté le théâtre pendant trois ans et quand je suis revenue sur Bordeaux, j’ai repris un cours d’art dramatique trois heures par semaine, et des cours d’improvisation avec la compagnie Atlas.

Très bien. Maintenant on va pouvoir rentrer dans les exos. Comment s’appelle le premier exercice que tu vas nous présenter ?

Techniquement il n’a pas de nom, mais je propose le cercle d’improvisation, c’est très bien. 

Le cercle d’improvisation, ça consiste en quoi ?

Tous les participants se mettent en cercle, le premier va voir une personne de son choix  et il commence l’histoire, en attribuant un personnage à l’autre personne. Tout le monde est en cercle, moi je vais te voir toi, Alban et je te dis par exemple, « Papa j’ai perdu mon bracelet, je suis sûre que c’est mon frère qui l’a volé ». Du coup toi tu sais que tu es le père, dans l’histoire, moi je deviens la petite fille, tu ne me réponds pas et c’est à toi de continuer l’histoire. Tu vas aller voir une autre personne du cercle qui n’a pas encore de personnage, et tu vas lui dire, par exemple, « Chéri, il y a Maria qui a encore perdu son bracelet » et en fait au fur et à mesure donc du coup le personnage que toi tu as été voir devient la mère, la mère va voir un autre, etc, à la fin tu as toute une histoire qui se fait avec tous les personnages qui étaient en cercle et voilà. En fait l'exercice se termine quand il y a une fin ou une chute, que la petite fille a retrouvé son bracelet. 

C’était plutôt clair ! Qu'est-ce que tu aimes dans cet exercice et qu'est-ce qu'il apporte aux gens ?

Je trouve qu’il apporte beaucoup d'écoute, parce que les gens sont obligés de retenir qui est qui au niveau des personnages, etc, qu'est-ce qui a été dit, parce qu’après tu peux avoir des interactions avec des personnages qui ont déjà parlé, tu peux aller revoir une personne. on peut revenir me voir, moi la petite fille, pour demander quand est-ce que je l'ai perdu ou je ne sais quoi, comme si c’était une enquête policière : on ne sait pas où ça peut aller. La mémoire, beaucoup d’écoute, et être clair au niveau des personnages. Il faut vraiment définir les personnages : qui tu es dans le jeu, pourquoi tu es là, définir aussi pourquoi tu vas voir quelqu'un, vraiment les intentions du jeu d'improvisation.

Donc c’est un jeu qui va plutôt vite ?

Oui oui, parce que tu as la première personne qui démarre l'improvisation, la deuxième comprend très vite que toi, par exemple, tu es le père, mais après dès que la personne s’en va, c’est à toi directement d'aller voir quelqu'un, c’est du tac au tac. Tu n’as que quelques secondes de réflexion, le temps de la première phrase.

Est-ce que ce genre d'exercice, tu le conseilles à des improvisateurs de tout niveau ? Est-ce que tu fais à des moments particuliers dans les ateliers ?

Je pense que c’est pour tout niveau, parce qu’on s’amuse bien à le faire, même quand on est forts *rires*. Après je dirais que c'est bien dès le niveau débutant, parce que comme ça apprend l'écoute et que c'est une super valeur de l'improvisation, je pense que c'est important et qu’il peut être intégré niveau débutant. 

Dernière question, petite touche Atlas : en trois mots, comment tu définirais cet exercice ?

Ecoute, amusement et histoire.

Ok ! On va pouvoir passer au deuxième exercice, je fais le chiffre deux avec mes doigts même si ça ne se verra pas. Alors, comment s'appelle le deuxième exercice que tu nous as choisi ? 

Alors pareil, je ne connais pas le nom mais je dirais le miroir, ou peut-être le miroir mouvant, je n’ai pas trop trouvé de nom pour celui-là.

Tu peux nous dire en quoi ça consiste ?

Ca se fait avec 2 personnes. Il y a une première personne qui prend une posture, c’est la statue, et elle commence à raconter une histoire avec ce qu’elle veut, il n’y a pas trop de directives. Elle doit prendre une posture, donc elle va se bloquer et elle va arrêter de parler en même temps qu’elle se bloque. Ensuite, c’est à la deuxième personne de prendre une autre posture et de s’envelopper autour de la première personne, il faut que ça fasse une statue qui ait du sens. Si je m’arrête avec le pouce en l’air, elle peut me prendre autour d’elle ou peu importe, mais il faut qu’il y ait un contact entre les deux personnes. Une fois que la deuxième personne a trouvé sa posture, elle se fige et en même temps elle raconte une histoire et ainsi de suite 

C’est à quel moment que ça change entre le geste et l'histoire ? Est-ce que c’est toujours la même histoire ?

Les gestes et l’histoire peuvent n’avoir rien à voir, même si ça peut être en rapport il faut surtout essayer de faire des statues artistiques. En fait, le premier qui bouge parle, dès qu’il se fige, il arrête de parler et c'est à l'autre de parler pendant qu'il trouve une position qui s’englobe dans l’autre et il continue l'histoire. Après il s'arrête, c’est à l’autre de re bouger et de se réenglober dans l’autre selon ce qu’il fait, la posture qu’il a, etc. L’histoire continue jusqu’à ce qu’il y ait une chute aussi, ou que quelqu’un les arrête. 

D'accord je pense que j’ai à peu près compris. Qu'est-ce qui te plaît dans cet exercice ?

J'aime bien parce que ça te permet de penser à ton corps, et en même temps d’être, encore une fois, à l'écoute de la personne qui parle et de la voir bouger. Pour la personne qui observe, c'est bien parce que c'est de l'écoute et qu’elle fait deux trucs à la fois : elle écoute et en même temps elle doit gérer ce qu'elle va faire après par rapport à la proposition du premier. Pour celui qui se déplace et qui parle en même temps, pareil, c'est une gymnastique dans la tête : il est obligé de dire quelque chose qui a du sens, et donc de continuer l'histoire, et en même temps de trouver une posture qui va avec celle de son partenaire, et donc de toujours être en harmonie avec son partenaire ; corporellement ou au niveau de l’histoire.

D’accord ! Moi je sais que quand je fais des exercices, quand je te demande à un improvisateur de faire plusieurs tâches déconnectées en même temps, comme par exemple avoir une action répétitive, ou parler, moi je sais que ça me sert aussi à faire en sorte que le cerveau traite l’information de façon différente. Plus il a de choses à penser, plus il va être désordonné, et à un moment la spontanéité se met en place. Le fait de donner beaucoup de consignes, c’est aussi pour mettre les improvisateurs en difficulté et les forcer à moins réfléchir, finalement.

Je vois très bien de quel exercice tu parles, en plus *rire*. Mais oui, c'est vrai, je suis d'accord avec toi, ça aide aussi à ça. Mais moins que l'exercice que toi tu proposes, quand tu nous fais mourir avec, je sais pas, boxer par exemple. 

Oui, c’est ça, une action répétitive à deux et quand l’un des deux parle, l’autre arrête l’action et inversement. Tu ne fais jamais les deux en même temps, ce qui fait que le cerveau doit dissocier les deux actions et plus ça va, plus ça va vite et plus une certaine spontanéité se met en place.

Je pense que ton exercice marche beaucoup dans la spontanéité, mais celui-ci est plus lent donc je crois qu’il y a quand même un peu moins de spontanéité. Tu as le temps de plus penser, mais je pense que ça doit jouer aussi sur la spontanéité parce que comme tu bouges en même temps, tu ne sais pas trop quoi faire et forcément, il y en a qui se dégage de cet exercice aussi.

Quand tu parles d’avoir quelque chose d’assez harmonieux … en tant qu’intervenant, par exemple, est-ce qu’on arrive à avoir un résultat assez complémentaire ou est-ce qu’il faut les pousser à essayer des positions un peu différentes, quitte à sortir un peu de la zone de confort du partenaire avec qui tu joues ? 

Je n’ai pas été intervenante pour cet exercice, mais je l’ai fait, avec un groupe que je ne connaissais pas forcément. Ne pense que ça doit être pareil pour des débutants : s’ils ne connaissent pas l’ambiance entre les gens qui font du théâtre, ils vont peut-être être un petit peu mal à l’aise en entourant la personne, en allant sous ses jambes ou en faisant des choses qui ne se font pas dans la vie courante. J’anticipe ta prochaine question mais peut-être que ce n’est pas trop un exercice à faire pour les débutants, parce que ça pourrait trop les pousser dans leurs retranchements. Moi quand je l’ai fait ça allait, parce que j’étais avec des gens qui avaient déjà fait du théâtre, mais ça peut mettre mal à l’aise certaines personnes et il faut avoir une certaine confiance dans le groupe pour pouvoir faire cet exercice. 

Effectivement, ça fait un peu écho aux prochaines questions concernant l’accessibilité de l’exercice, du niveau, etc. Pour toi, c’est plutôt un exercice pour un groupe qui se connaît un petit peu. 

Soit un groupe qui se connaît un peu, soit un groupe de personnes qui ont déjà pratiqué le théâtre. Des débutants qui font de l’impro ensemble depuis trois, quatre mois et qui commencent à bien se connaître, ou des intermédiaires ou confirmés qui savent déjà comment sont les codes du théâtre. 

Tu fais passer par deux tour à tour, ou en gestion autonome ?

En gestion autonome. 

Ok ! Trois mots, pour définir cet exercice ?

Calme, concentration et artistique. 

On va pouvoir passer au dernier exercice, je te laisse nous dire comment il s’appelle.

C’est le cowboy !

Ah oui, ça c’est the classique je pense. Tu peux rappeler rapidement ce que c’est pour les gens qui ne connaitraient pas ?

Tout le monde est en cercle, et il y a un animateur qui dit un prénom au hasard de quelqu’un qui est dans le cercle. La personne qui est appelée doit se baisser, et ses voisins de gauche et de droite font “pan !” avec leur pistolet imaginaire. Si la personne réagit à temps et se baisse avant que ses voisins aient dit “pan !”, elle reste dans le jeu, si elle était ailleurs et elle ne s’est pas baissée, elle sort du jeu parce qu’elle s’est fait tuer. Si l’un des deux voisins n’a pas réagi, que la personne du milieu s’est baissée et que l’autre voisin a réagi, c’est celui qui n’a pas réagi qui meurt. Ainsi de suite jusqu’à ce qu’il en reste deux, et à la fin il y a un petit duel. Chacun fait le jeu qu’il préfère, mais j’aime bien quand les deux joueurs doivent dire des mots qui n’ont rien à voir avec les précédents. Par exemple, le premier dit “soleil”, l’autre dit “table”, le premier dit “portable”, puis “post-it”, bref. Celui qui perd a perdu, et voilà.

Je pense que c’est assez clair. C’est un jeu qu’on connaît aussi sous d’autres noms, comme l’Indien, mais c’est aussi le nom que j’utilise. Qu’est-ce qui te plaît dans cet exercice, et qu’est-ce qu’il apporte ?

Il sert à rapprocher les gens ! C’est un jeu où il y a de la compétition, c’est bon enfant et donc ça aide à la complicité d’un groupe et ça aide aussi à la réactivité. Encore une fois, il faut être à l’écoute, ne pas être dans ses pensées et toujours réagir du tac au tac. Et c’est … un jeu. Tout est jeu dans l’improvisation, mais lui c’est encore plus un jeu, je trouve.

C’est un jeu, mais il demande quand même une certaine attention.

Oui, ça demande de l’attention dans le sens où tu dois écouter l’animateur, faire attention pour savoir si tu dois te baisser, faire “pan !”, te souvenir du nom de tes voisins sinon tu es vite largué, il faut rester concentré. Mais c’est plus un jeu que les autres jeux d’improvisation parce qu’il y a un gagnant à la fin. On rajoute quand même la compétition à l’intérieur.

C’est pour quel genre de public, à quel moment de l’atelier par exemple ?

Pour moi, dès les premiers cours, pour commencer à apprendre les prénoms c’est bien.

Je sais que pour des groupes adultes, je le fais plutôt en tout début de cycle pour se familiariser avec les noms, parce qu’effectivement il y a ce côté compet’ qui stimule assez vite. Avec les enfants, j’aime bien le faire, mais je le fais avec une variante parce que les enfants ne vont pas sagement s’asseoir quand ils ont perdu, en général ils ne vont même pas s’asseoir du tout : la personne éliminée, au lieu de sortir, se met en bout de cercle, on détermine une première position et une dernière, comme ça elle continue de jouer mais à la dernière place. 

Mais les places sont attribuées au hasard ?

Oui, et au fur et à mesure ça tourne. C’est une variante intéressante, je trouve, parce qu’elle permet de faire jouer tout le monde et de rester dans l’énergie.

Et c’est toi qui décide quand ça s’arrête, du coup ?

Voilà. Et donc, trois mots pour définir cet exercice ? 

Réactivité, mémoire et amusement. Je crois que j’ai déjà utilisé amusement, mais …

Mais tu t’amuses beaucoup. Il y a des notions qui ressortent beaucoup, en fonction des improvisateurs, des animateurs, donc la partie fun c’est quelque chose pour toi qui compte beaucoup dans la mise en place des ateliers. 

Oui, s’amuser, mais en fait il ne faut pas que ce soit le bordel non plus. Je trouve que dans le théâtre, tu t’amuses beaucoup de toute façon, parce que c’est le moment où tu fais des personnages que tu n’oserais pas faire dans la vie réelle : soit tu n’oses pas, soit ce n’est pas toi, donc c’est le moment qui te permet de tout donner sans être jugé. Mais amusement, aussi, dans la discipline. Pour moi, tu ne fais pas du théâtre pour courir partout, ne pas écouter, c’est quand même un apprentissage donc tu t’amuses en apprenant. Les deux vont ensemble. 

Tu es attachée à la notion de progrès au cours de l’exercice, par exemple. 

Oui, il faut quand même qu’il y ait un but aux exercices, et j’aime bien aussi qu’il soit expliqué avant. 

L’intervenant, pour toi, c’est un peu celui qui orchestre l’amusement. 

Et puis il doit faire attention à ce que ça ne dure pas trop longtemps pour ne pas que les gens se lassent, que les gens réussissent à voir ce qu’il y a derrière cet exercice, parce que c’est amusant mais il faut voir à quoi ça sert, à quoi ça va me servir dans le théâtre ou dans la vie réelle.

Merci Manon de nous avoir témoigné tes trois exercices fétiches, en espérant que ça pourra en inspirer. Et on se retrouve la prochaine fois avec un autre improvisateur, parce que le confinement va être encore long donc j’imagine qu’on aura l’occasion d’interviewer beaucoup d’autres personnes … #Bonnehumeur

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