Un·e improvisateur·rice, trois exercices : Maya

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Alban se lance dans une série de podcasts sur les exercices préférés de vos coaches atlasien·ne·s préféré·e·s. On commence avec Maya, qui nous parle de “Ceci est ma place”, du dauphin et de ce qu’elle surnomme le “cercle des polyglottes”.



Interview avec Maya, première *clap*. Bonjour Maya ! Alors d’abord, présente-toi un peu, ton CV d’improvisatrice, et puis ensuite on parlera de tes exos fétiches à proprement parler.  

Salut Alban, salut tout le monde ! Je suis Maya, j’ai commencé l’improvisation il y a une dizaine d’années à la Lubie, qui est une troupe à Bordeaux. La ligue universitaire bordelaise d’improvisation. Ça commence à faire longtemps, maintenant ! J’ai fait partie de plusieurs troupes depuis et j’ai commencé à coacher des improvisateurs, débutants surtout, il y a cinq ans, et depuis j’ai eu plusieurs groupes de différents niveaux. J’ai toujours été avec des improvisateurs débutants, surtout, et autrement je fais partie d’Atlas depuis les débuts de l’asso donc j’ai aussi coaché des improvisateurs atlasiens … J’ai un peu perdu ma dynamique !

Eh oui, c’est tout le monde, c’est le confinement on fait ce qu’on peut … Parle-nous de ton premier exercice : déjà, comment ça s’appelle ?

Ceci est ma place. Pas sûre que ce soit son vrai prénom, mais ça me plaît comme ça.

Mmmh moi aussi je le connais sous ce nom-là. Est-ce que tu peux nous dire rapidement en quoi ça consiste ?

Trois comédiens sont sur l’espace de jeu, alignés avec une certaine distance. Ils tournent le dos au public et le reste du groupe est assis en spectateur. L’animateur donne le top et à partir de ce moment-là, un  improvisateur va se tourner vers le public, et répéter la phrase qui est « Je m’appelle Maya », par exemple, « et ceci est ma place ». On va dire que les autres improvisateurs s’appellent Alban et Boumediene.

*rire* C’est original.

Donc *rire* Maya continue à répéter la phrase, « je m’appelle Maya et ceci est ma place, je m’appelle Maya, et ceci est ma place, je m’appelle Maya, et ceci est ma place », et elle ne s’interrompt que lorsqu’un des deux comédiens se tourne vers le public et commence sa phrase à lui, donc par exemple « Je m’appelle Alban et ceci est ma place, je m’appelle Alban et ceci est ma place, je m’appelle Alban et ceci est ma place ». Donc, lorsqu’un comédien se tourne vers le public, l’autre doit obligatoirement se tourner dos au public. La consigne du jeu étant qu’il y ait toujours obligatoirement un comédien tourné vers le public. J’ajoute que dans cet exercice, il est important de garder une certaine dynamique : lorsqu’on se tourne, on se tourne en sautant, on garde les pieds bien ancrés au sol avec la voix bien portée, et on parle de façon intelligible. C’est ce qui va faire qu’au fur et à mesure de l’exercice, il y a une dynamique qui se crée, on va dire que la mayonnaise monte et ça devient un joyeux bazar, mais c’est aussi le but du jeu.

Je pense que c’est assez clair. Enfin moi je connais l’exercice, mais même pour les autres qui veulent le refaire chez eux, c’est bon. Qu’est-ce que tu aimes particulièrement dans cet exercice, et qu’est-ce qu’il apporte aux improvisateurs ?

Ce que j’aime dans cet exercice c’est qu’encore une fois, il y a une mayonnaise qui monte, quelque chose qui se crée entre les improvisateurs qui sont sur scène. Les comédiens doivent avoir une écoute très active, être très réactifs aussi.

Oui, quelque chose de très dynamique, donc. Ce genre d’exercice, tu le fais pour des gens de quel niveau, et à quel moment dans l’atelier par exemple ? 

Juste après les échauffements, et ça peut être … je pense que c’est un exercice qui est adaptable, qui est fait pour tous niveaux d’improvisateurs. Vraiment, à chaque étape de sa vie d’improvisateur, on peut le faire, encore une fois c’est un exercice d’écoute, ça demande de la réactivité, on est aussi autour de la notion de prendre le lead, de laisser le lead, d’assumer, d’être face au public, d’être regardé, et aussi de ne plus avoir le lead et donc d’être au service du jeu, du public. Même lorsque l’on tourne le dos au public, qu’on ne fait rien, qu’on ne dit rien, on est au service et on fait partie du jeu. 

On doit toujours se tenir prêt.

Oui, tout à fait.

Merci ! Moi aussi, j’avoue que c’est un exercice que j’aime bien. Boum, je sais qu’il le fait souvent aussi. Mais je trouve même que c’est bien avant un spectacle, ça peut être pas mal parce que pour la voix c’est cool, pour le corps aussi donc ... J’aime vraiment bien ce genre d’exercice, si tu pousses un peu c’est vraiment exigeant et avant un spectacle, je trouve ça cool. Petite touche Atlas pour finir : dis-nous trois mots pour caractériser cet exercice.

Engagement … Mmmh je vais trouver, attends… on va mettre écoute, ça passe bien, et empowerment qui n’a pas d’équivalent en français. Ça c’est un mot que je voulais mettre, vraiment, et que je voudrais développer si possible, parce que ça peut servir… Je me rappelle de moi quand j’ai commencé l’impro, j’ai mis longtemps à me sentir en confiance et je sais que je ne suis pas la seule à me demander si ce que je fais est bien, si les autres sont en train de me juger tout le temps, etc. Et du coup il y a un côté très symbolique de dire « Je m’appelle Maya et ceci est ma place ». Je m’excuse pas d’être là, je prends la place et j’existe. 

On va passer au deuxième exercice, donc je t’écoute : comment s’appelle ce deuxième exercice ?

Le dauphin, d’après ce que je sais. Pour moi, c’est l’exercice d’introduction de la grande famille des guessing games, que Meng Wang nous a ramené à Bordeaux il y a deux ans je crois. Je suis vraiment tombée amoureuse des guessing games, je trouve ça super.

Est-ce que tu peux décrire rapidement ce qu’est un guessing game pour les gens qui ne le sauraient pas ?

C’est un jeu autour de deviner. On travaille notre capacité à deviner, à être à l’écoute au maximum et autour de l’intuition, de faire confiance à l’autre aussi dans le jeu. Souvent, lorsque c’est moi par exemple qui vais deviner, je sors de la salle. Le groupe s’est concerté, ils ont décidé d’un enjeu, d’une consigne, d’une mission, et j’entre dans la salle sachant que j’ai une mission à accomplir, une consigne ou un enjeu à comprendre, mais je ne sais absolument pas de quoi il s’agit. Il s’agit là de faire confiance à ses partenaires de jeu, absolument confiance, je n’ai rien d’autre que leurs encouragements. 

Deviner et faire deviner, du coup. Alors, je pense que la plupart des gens qui ne connaissent pas doivent imaginer plein de trucs, donc est-ce que tu peux nous dire en quoi ça consiste, quitte à faire les gestes et tout, même si à l’écrit ce ne sera pas très représentatif ?

Le dauphin, parce qu’il s’agit d’applaudir pour encourager le partenaire de jeu qui est sorti, qui n’est pas au courant de ce qui s’est tramé. On applaudit pour l’encourager, sur le même principe que le jeu du chaud et du froid. Lorsqu’il s’approche de la mission, on applaudit très fort, lorsqu’il s’en éloigne, on arrête carrément d’applaudir.

Je vais peut-être un petit peu résumer : dans un premier temps, il y a un joueur qui sort, le groupe choisit un objet (ou une mission, une action) à faire deviner à la personne qui est sortie, et une fois qu’il est revenu, il doit trouver l’action ou l’objet qu’il doit rechercher et la seule façon que le groupe a de l’aider c’est de l’applaudir, un peu à la manière d’un banc de dauphin s’il est plus ou moins près ou plus ou moins loin. 

Voilà, exactement. 

Qu’est-ce qui te plaît dans cet exercice, et qu’est-ce qu’il apporte selon toi ? 

Ce que j’aime beaucoup dans cet exercice, c’est qu’on est autour du positif, toujours. Pour les premiers passages du groupe, on garde des actions très simples, par exemple allumer les lumières, soulever un objet, vraiment on a envie que notre camarade réussisse, parce que c’est la réussite du groupe. Pour continuer dans ce que j’aime beaucoup, c’est qu’avec les applaudissements, plus la personne qui doit deviner se rapproche du but, plus on va applaudir fort et faire des ... comment on dit, « aaah, youhouuuu, iiiiih ».

Des encouragements ? *rires*

Oui, des cris d’encouragement *rires*. Il y aura des youyou pour ceux qui veulent le faire, on est au taquet et lorsqu’il accomplit sa mission, il y a une fête générale, une communion et j’adore ça. 

Oui, c’est le fait de s’entraider qui est communicatif.

Oui ! Et ce qu’il apporte au groupe, c’est le collectif, tous ceux qui sont dans la salle, qui se sont concertés ont cette responsabilité d’aider le camarade qui arrive, et le camarade qui est sorti qui rentre il ne peut que faire confiance au groupe. Donc ça fait travailler le lâcher-prise, aussi. 

Quel public, quel niveau, à quel moment tu le fais cet exercice ? 

Encore une fois, pour moi c’est un exercice tous publics. Ça peut être dans les échauffements, ou juste à la fin des échauffements. Ça marche pour tout le monde, je pense.

Ok ! Donne-moi trois mots qui résument un peu cet exercice. 

La confiance, le collectif et la communion.

Ouuuh, les trois C. Et donc on va passer à ton troisième exercice, je fais le chiffre trois avec mes doigts. Comment il s’appelle ? 

Le cercle des polyglottes. En vrai je ne sais pas comment il s’appelle, je l’ai nommé comme ça, je pense que ça lui va bien. 

Et ça consiste en quoi, ce cercle des polyglottes ? 

On va travailler le gromelot, se décomplexer de parler dans une langue qu’on ne maîtrise pas en passant par le gromelot. Donc je divise l’exercice en deux phases : la première, c’est plus une partie d’échauffement, je pense que quand on est face à un groupe de débutants, elle est nécessaire, pas forcément si on a des improvisateurs expérimentés. Tout le groupe est en cercle, et on regarde tous face au cercle. Une première personne dit une phrase courte en gromelot, son gromelot à elle, qu’elle a inventé, avec un ton neutre. Le groupe répète cette phrase en s’appliquant à reproduire les mêmes sons, et en choeur. Tout le monde ensemble, on répète ce qu’on vient de dire. Et puis ensuite, chacun invente sa phrase, le groupe répète, jusqu’à ce que ça se clôture. Ça c’est la phase 1, pour s’échauffer. 

Pour la phase 2, tout le monde est toujours tourné vers le centre du cercle. Une personne A se tourne vers son camarade, voisin de gauche ou de droite peu importe, on va dire que c’est le voisin de gauche et on va l’appeler B. Elle s’adresse à lui avec son gromelot, dans sa langue, on va dire ici pour l’exemple avec une sonorité italienne. Un gromlö un peu Italiano, tatitatiiiitataaa. En revanche cette fois-ci, le ton n’est pas neutre, il est empreint d’émotion et engagé corporellement. C’est un dialogue, en fait, qu’il entame. La personne B va lui répondre sur les mêmes tonalités italiennes, et en réaction à ce qu’elle vient d’entendre. Donc c’est vraiment une dynamique de dialogue, on fait cet effort de produire les sonorités, même si on n’est pas à l’aise avec l’italien on fait l’effort de s’adapter à la langue. On est toujours engagé corporellement, de la même façon. On peut réagir avec des émotions opposées, c’est pas un problème, mais on garde une unité de sonorité linguistique, disons. 

C’est du mime aussi, quelque part.

Non, pas forcément. Si je te dis titalitalitatatiii, tu me réponds comme tu veux, tu peux répondre aaah, tititatitataaa, ou … whatever. 

Plus une sorte de miroir, alors.

Oui, ça peut être un miroir, mais ça peut être aussi … ce que je t’ai dit ça t’a pas plu, donc t’es pas content.

Donc rebondir en reprenant les mêmes éléments. 

Oui, comme si c’était un dialogue de la vie quotidienne. Pour clôturer, cette personne qui vient de faire un gromelot italien se tourne vers son camarade C, et elle va lui dire quelque chose dans la langue qu’elle a inventée, par exemple avec des sonorités … allemandes, au hasard *syllabes mélangées en allemand*. Son camarade D va faire pareil, rebondir sur ce qu’il vient d’entendre, toujours engagé corporellement. Ce que je veux dire par là, c’est surtout que garder un ton neutre, ce n’est pas l’intérêt de l’exercice, c’est surtout de faire comme si c’était un dialogue de la vie quotidienne où parfois, ça provoque des réactions … et parfois non, ça peut arriver. Le ton n’est pas neutre, surtout. Ainsi de suite jusqu’à ce qu’on ait fait le tour du cercle, que chacun ait inventé une langue, d’une part, et fait l’effort de s’adapter à une autre langue.

Qu’est-ce qui te plaît dans cet exercice, et qu’est-ce qu’il apporte ?

De façon très personnelle, j’aime cet exercice car pour moi c’est une ode à la pratique et à l’apprentissage des langues étrangères, pour rester dans la thématique Atlas aussi. Ce qu’il apporte aux comédiens, pour moi, c’est de délier les langues, ça fait tomber certains complexes. On est souvent en train de se juger lorsqu’il s’agit de parler dans une langue qu’on ne maîtrise pas, on a peur du jugement des autres et pour moi c’est inconscient, on est capables de parler d’autres langues, on a tout ce qu’il faut là, dans notre appareil linguistique, pour parler des langues et que les barrières mentales, on peut les faire tomber facilement.

Ok, on fait tomber les barrières, ça marche. Tu le conseillerais à un certain type de groupe, dans des ateliers particuliers ? 

Encore une fois, je pense que c’est fait pour tout le monde, après … dans un atelier tourné spécifiquement vers le multilingue, c’est très adapté.

Et par exemple, quand tu dis tous publics, est-ce que tu penses qu’un public enfant pourrait le faire ? 

Oui, le gromelot c’est génial ! Après, il faut que les enfants aient de la discipline, mais c’est possible.

On y croit *rires*.

Voilà *rires*, autrement ça peut être dans un atelier classique, à la fin des échauffements : une fois qu’on a déjà fait un ou deux exercices d’échauffement, on peut attaquer ça. Je sais pas si ça paraît difficile, mais ça ne l’est pas du tout.

Je pense qu’il y a quand même un petit temps d’adaptation, vis-à-vis du groupe. Si tout le monde joue le jeu c’est bien, mais comme tu le dis faire tomber les barrières ça ne se fait pas directement.

Oui, c’est pour ça que j’ai parlé d’une phase 1 qui est une phase préparatoire.

Et est-ce qu’il ne faut pas, dans cet exercice, inciter les gens à faire des choses un petit peu différentes, à essayer ? Est-ce que c’est naturel ou est-ce qu’il ne faut pas un peu les pousser ? 

C’est vrai que pour moi, c’est important de faire appel à l’imaginaire, à l’imagination, ne pas se brider. Tout est possible, des onomatopées improbables, des mmmh, et ça on le fait dans la phase 1. Le but c’est de s’ouvrir et d’aller dans l’imaginaire.

Le rythme doit être soutenu ou pas ? 

Soutenu, non, il est constant, on essaie de ne pas faire tomber l’énergie.

Et pour finir, les trois mots pour décrire cet exercice ?

Imagination, s’amuser (ne pas oublier pourquoi on fait de l’impro) et la générosité

Ouhla, ça fait plus de trois ça. Voilà, on a fait le tour des trois exercices, donc merci Maya de t’être prêtée au jeu, tu es la première. 

Trop bien ! J’ai pu faire mes exercices sans tenir compte de ce que les autres auront dit !

Je trouve que c’est vraiment intéressant, il y a autant d’improvisateurs que de façon d’improviser, et pareil pour les coaches en fait. C’est pas parce qu’on connaît tous les mêmes exercices qu’on fait la même chose, on a des affinités particulières par rapport à la discipline et par rapport à ce que nous, on veut faire. Je trouve que c’est intéressant, pas seulement de savoir ce que les autres font mais pourquoi ils aiment le faire, c’est surtout ça. Toi, j’ai l’impression que tu es très attachée à cette notion de positivité dans les exercices, qu’il y ait un côté très fédérateur, c’est quelque chose d’important pour toi.

Oui complètement, le groupe, le collectif, pouvoir avoir confiance et se sentir en sécurité pour essayer des choses

Eh bien parfait, je vais couper officiellement l’enregistrement donc tu peux dire n’importe quoi à partir de … maintenant.